Etonnante trajectoire que celle de William Daron Pulliam, alias Darondo. Originaire de la Bay Area, celui qui doit son surnom à une serveuse qui appréciait la générosité de ses pourboires, tente une carrière musicale au tournant des années 70. Parmi la poignée de singles qu’il enregistre à cette période, « Didn’t I » attire l’attention des radios locales. Le morceau s’écoule à 35 000 exemplaires, succès qui permet à Darondo de se faire une place parmi la scène musicale locale, de rencontrer Sly Stone et même de faire quelques premières parties de James Brown. Il devient surtout une figure incontournable de la vie nocturne de la Bay Area, se déplaçant en Rolls et ne se séparant jamais de son manteau de fourrure. Comment un chanteur à la renommée locale peut-il mener si grand train ? C’est que le bougre dispose de sources de revenus « alternatives » : si l’on en croit les rumeurs insistantes, il est également un proxénète prospère. L’intéressé s’en est toujours défendu avec véhémence, justifiant de ressources financières tirées de son emploi de concierge… Quant aux 4 ou 5 jeunes femmes habitant chez lui, il les présente comme ses locataires. Quid de celles qui l’arrêtent dans la rue pour lui donner leur argent ? Il comprend le caractère suspect de ces actes de générosité spontanés mais dit n’avoir jamais forcé ou violenté personne.

Un personnage étrange donc, qui a toujours considéré la musique comme un hobby plutôt qu’une carrière et recherche constamment l’aventure. Vers la fin des années 70, il produit et présente des émissions de télévision qui lui apportent une certaine notoriété. Cela dure quelques années, mais sa vie d’excès (notamment de cocaïne) finit par le rattraper : au bord de la rupture, il décide de quitter cet environnement malsain et part du jour au lendemain pour Londres. Après quelques mois, il atterrit à Paris, où il succombe aux charmes de nombreuses locales, écume les clubs de blues de la ville avec sa guitare et finit par se faire dépouiller par des voleurs. Pour se refaire, il prend alors un emploi de guitariste sur un bateau de croisière dans les Caraïbes. De retour aux USA, il part cirer les bancs de la fac et devient kinésithérapeute puis orthophoniste. Il se marie et devient père. Via quelques affaires florissantes sur le marché de l’immobilier, il peut offrir à sa famille une situation confortable, sa carrière musicale désormais un lointain souvenir.

C’est sans compter sur l’ouïe fine du DJ anglais Gilles Peterson, qui exhume « Didn’t I » au milieu des années 2000 : il le diffuse régulièrement dans son émission de radio et finit par l’inclure sur sa compilation « Gilles Peterson Digs America » en 2005. Le label Luv’N’Haight contacte alors Darondo pour sortir un album regroupant ses quelques singles et démos. Plus que sceptique à cette idée, Darondo finit par accepter et l’album « Let My People Go » sort en 2006. Après bien des digressions, la boucle est bouclée.

A l’écoute de « Didn’t I », joyau soul tout en délicatesse, on comprend aisément comment Gilles Peterson a pu s’en amouracher. Le morceau est un écrin qui met en valeur la voix aiguë aux ponctuations gutturales de Darondo. Pour celles et ceux qui s’interrogent sur la fascination que ce démon à la voix d’ange a pu susciter sur son entourage, notamment féminin, ce morceau est un début de réponse.

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