The times they are a-changin’… En 1963, la mode est à la folk de Dylan et Joan Baez, et le blues menace d’être emporté par ces vents nouveaux. C’est en tout cas ce que craint Chess Records, qui héberge des figures tutélaires du Chicago blues et ne peut se permettre de voir l’essentiel de son roster tomber dans la désuétude.
C’est donc sur l’insistance de Chess que McKinley Morganfield alias Muddy Waters retourne en studio en septembre 1963 pour enregistrer un album acoustique (dans une ironique symétrie inversée avec la transition de Dylan vers l’électrique 2 ans plus tard). Ce que Chess conçoit comme un signe des temps est en réalité un retour aux sources pour Muddy Waters, lui qui avait commencé à jouer à 17 ans sur une guitare sèche qu’il avait achetée alors qu’il vivait sur la plantation de coton du Colonel Stovall à Clarksdale, Mississippi. Accompagné par Willie Dixon (contrebasse), Clifton James (batterie) et Buddy Guy (guitare), Muddy Waters enregistre lors de cette session des blues qui représentent la substantifique moelle du genre. Le son est à la fois ample et intime, comme des chuchotements dans une église, et la voix distordue de Muddy Waters, avec ses inflexions élastiques comme un vinyle qu’on arrête du bout des doigts, domine des instrumentations épurées. Chess sort l’album en avril 1964, l’intitulant « Folk Singer » pour capitaliser sur la mode du moment, mais ne vous y méprenez pas, c’est bien de blues pur jus qu’il s’agit ici. Cet album conçu à l’origine comme un coup marketing reste un des plus marquants de la discographie de Muddy Waters et de l’histoire du blues, Rolling Stone plaçant « Folk Singer » au 282e rang des 500 meilleurs albums de tous les temps.