(La salle d’audience bondée d’un tribunal correctionnel. Le prévenu, isolé dans son box, affiche une stature impressionnante,  des mains larges comme des balais à gazon et un tronc de chêne centenaire en guise de torse. Il se tient droit comme la justice, tête haute et regard rempli de défiance. L’avocat général vient de se rasseoir après avoir conclu un réquisitoire sans merci, laissant place à un silence assourdissant. Après avoir laissé passer quelques instants, le juge invite l’avocat de la défense à prendre la parole. Celui-ci se lève pour commencer sa plaidoirie et s’avance vers le juge)

« Votre Honneur, nous avons tous connaissance des événements tragiques qui se sont déroulés dans la soirée du mercredi 8 février dernier : le prévenu Charles Oakley, mon client, s’est rendu au Madison Square Garden pour assister à un match de son ancienne équipe, les New York Knicks, qui recevaient ce soir-là les Los Angeles Clippers. Alors que le score était de 19 partout et qu’il restait 6:18 à jouer dans le 1er quart-temps, plusieurs vigiles sont venus entourer M. Oakley. Se sentant cerné et scruté, celui-ci les a interpellés pour leur demander la raison de leur présence. Les agents de sécurité lui ont alors ordonné de quitter les lieux. Celui-ci, qui avait payé sa place et n’estimait pas avoir eu de comportement justifiant une telle demande, a refusé d’obtempérer. Le ton est rapidement monté et lorsqu’un des agents de sécurité a tenté de saisir M. Oakley, mon client a pris ce contact physique comme une agression et s’est défendu en repoussant violemment l’agent de sécurité. Les collègues du vigile sont alors intervenus et ont plaqué mon client au sol, l’ont expulsé de la salle au pas de charge avant que celui-ci soit arrêté par les forces de l’ordre. Tout cela à moins de 3 mètres de James Dolan, le propriétaire de la franchise et du Madison Square Garden, sans que ce dernier n’intervienne à aucun moment.

Ces faits, nous ne les contestons pas. Mon client regrette tout particulièrement s’être emporté contre des agents de sécurité qui se contentaient de faire leur travail. Toutefois, nous contestons avec la plus grande vigueur les raisons avancées pour justifier son expulsion, raisons que nous jugeons totalement fallacieuses et infondées, ainsi que les conditions dégradantes de cette expulsion qui ne sont pas en rapport avec sa place dans l’histoire de la franchise.

Je suis en charge d’assurer la défense de Charles Oakley, un terme qui ne pourrait mieux décrire mon client. Avec Pat Ewing et Anthony Mason, il formait la frontline la plus physique et la plus redoutée de la 1ère moitié des années 90 : pour un arrière, tenter une pénétration contre les Knicks revenait à venir se fracasser contre un mur d’enceinte en béton armé. Charles Oakley appartenait à la catégorie des ‘enforcers’, les gros bras qui densifient la raquette et intimident l’équipe adverse. Dans une ligue qui fait désormais la part belle aux arrières, au jeu soigné et à l’adresse extérieure, cette catégorie de joueur n’a plus sa place, comme un mineur à l’ère du nucléaire. Mais le jeu lent, physique et violent des années 90 s’apparentait plus à la Bataille des Bâtards, et Charles Oakley en était le Tormund.

Bien qu’il fut plus polyvalent qu’on veuille nous le faire croire (son shoot à mi-distance était extrêmement fiable), il assuma pleinement ce rôle ingrat d’homme de main, avec un jeu toujours à la limite de la légalité et des fautes appuyées mais jamais dangereuses. Il tint ce rôle à la demande de ses équipes successives et dans leur intérêt, avec une conscience professionnelle irréprochable pendant 19 saisons. Cette abnégation et ce dévouement total à son équipe firent de lui un joueur vénéré par ses coéquipiers et les fans de ses franchises successives, le genre de joueur qu’on aime avoir dans son équipe et qu’on déteste affronter.

Certes, mon client a manifesté une forte propension à se battre et à gifler les gens tout au long de sa carrière, surtout quand les personnes concernées se nomment Charles Barkley. Qu’il soit reconnu cependant, et le tweet ci-dessous vient prouver nos dires, qu’il le fit avec un souci constant de protection des plus faibles.

Nous réaffirmons avec force que ces combats ne sont pas symptomatiques d’un problème de comportement de mon client : si tel était le cas, comment expliquer que Chicago, New York, Toronto, Washington et Houston lui aient successivement fait confiance pour intégrer durablement leur équipe ? On ne reste pas 19 saisons en NBA quand on a un comportement jugé néfaste. Au contraire, ces combats répétés sont le signe de l’engagement total et indéfectible de mon client pour ses équipes successives, tout particulièrement pour les Knicks avec lesquels il passa 10 saisons exceptionnelles. L’intensité de son engagement est telle qu’il s’est déjà battu pendant un match de présaison sans aucun enjeu, comme s’il s’était agi d’un match de playoffs capital. Posez la question à tout propriétaire de franchise et il vous répondra à coup sûr ceci : la valeur d’un tel joueur, prêt à mourir sur le terrain pour votre équipe, est incommensurable. C’est pour cette raison que Golden State accepte aujourd’hui les incartades de Draymond Green : en dépit de celles-ci, son apport à l’équipe reste très largement positif.

Mon client n’a pas l’âme d’un calculateur, il donne sans compter. Cet engagement découle de son caractère profond, une personne pour laquelle droiture, franchise et courage constituent des valeurs essentielles. Mais cette droiture peut être vue par certains comme de l’intransigeance, et la franchise n’est pas toujours appréciée, surtout quand on en fait les frais. Le franc-parler de mon client l’a souvent placé dans des situations difficiles, et nous arguons que c’est la raison qui explique cet incident. En effet, devant l’état de décrépitude de son club de cœur, il a tenu à plusieurs reprises des paroles dures envers les Knicks dans la presse par le passé, tout en proposant ses services pour aider à remettre le club d’aplomb. Le proverbe dit « qui aime bien châtie bien », démontrant ainsi l’étendue de l’amour de mon client pour son ancienne équipe. Il a tenté sans succès de rencontrer le propriétaire James Dolan à de multiples reprises pour discuter de l’équipe. Le point culminant de ce conflit larvé fut atteint en octobre dernier, lors d’une cérémonie honorant quelques joueurs emblématiques des Knicks pour le 70e anniversaire de la franchise, cérémonie à laquelle mon client ne fut pas convié, une aberration totale quand on connaît la place essentielle qu’il occupe dans l’histoire du club. Malgré tout, M. Oakley réitéra sa proposition de rendez-vous à M. Dolan par l’intermédiaire du New York Times, mais dans une tentative d’ironie peu judicieuse, il choisit bien mal ses mots. Je cite : « Le patron ne m’aime pas. Cela ne me dérangerait pas de dîner avec Dolan. Cela ne me dérangerait pas de lui faire à dîner. [pause] Je mettrais peut-être quelque chose dans sa nourriture, par contre. [pause] Enfin, j’ai demandé à au moins 15 personnes d’essayer d’organiser un rendez-vous entre nous. Il ne veut pas me rencontrer. Je veux m’asseoir autour d’une table avec lui et discuter. Je veux que nous soyons tous les 2 dans la même pièce. Et qu’on ferme la porte. Porte fermée! [pause] Enfin, il peut demander à la police d’attendre devant la porte. »

Cette piètre tentative d’humour n’a certainement pas rassuré M. Dolan, et n’a fait qu’accroître son ressentiment envers mon client. Mais si l’on peut critiquer le choix des mots, comment ne pas reconnaître les difficultés de la franchise depuis l’arrivée de James Dolan ? Depuis la saison 2000-2001, M. Dolan (également connu pour son groupe de blues JD & The Straight Shot) a dépensé près de 2 milliards de dollars pour recruter et payer des joueurs qui n’ont qualifié les Knicks pour les playoffs que 5 fois en 17 saisons, ne remportant qu’une seule série au 1er tour des playoffs 2013 contre les Celtics de Boston. Le retour sur investissement est bien maigre et l’on peut comprendre que mon client, comme tout fan des Knicks, en soit profondément affecté. Toutefois, comment croire une seule seconde que mon client puisse causer une altercation physique avec le propriétaire des Knicks ? C’est malheureusement ce que M. Dolan a dû penser quand il a vu Charles Oakley prendre place quelques mètres derrière lui le soir du 8 février dernier, l’amenant à demander l’intervention des agents de sécurité du Madison Square Garden.

Votre Honneur, ce soir-là comme toutes les fois précédentes, c’est pour son équipe et pour sa dignité que Charles Oakley s’est battu. C’est bien lui qui a été provoqué et il s’est défendu, comme il l’a toujours fait. Bien qu’il ait quitté le club il y a bientôt 20 ans, il n’en reste pas moins le cœur et l’âme, quoi qu’en pensent les dirigeants actuels de l’équipe : nous en voulons pour preuve le fait que les fans des Knicks présents le soir de l’incident chantèrent longuement son nom après son expulsion du Madison Square Garden, démontrant à cette occasion plus d’attachement à ce joueur retraité ayant foulé le parquet du MSG il y a près de 20 ans qu’à aucun des joueurs de leur équipe dysfonctionnelle actuelle. Ceci n’était pas une scène isolée, puisqu’elle s’est reproduite le lendemain soir lors d’un match de hockey des New York Rangers, qui sont également la propriété de James Dolan. Le message du public est clair : plus qu’une équipe, Charles Oakley représente l’état d’esprit d’une ville toute entière, volontaire, dure à cuire, dure au mal. Et la manière dont M. Oakley fut traité ce soir-là était indigne de son statut, après avoir tout donné aux Knicks au cours d’une carrière plus que respectable (19 saisons, près de 1 300 matchs joués, 12 000 points, 12 000 rebonds, une fois All-Star en 1994). Est-ce ainsi que l’on traite une légende vivante de son équipe, fût-elle très critique dans ses commentaires à l’égard de l’évolution de la franchise ces dernières années ? Le public, lui, a tranché.

En conséquence, nous demandons l’abandon de toutes les charges retenues contre mon client, notamment son bannissement du Madison Square Garden. Merci pour votre attention, Votre Honneur. »

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