Si l’on en croit la légende, celle qui s’appelait encore Stella Mondésir à l’époque se fit repérer par hasard, au détour d’une promenade dans les rues de Fort-de-France : alors qu’elle passait devant une maison, elle entendit une voix d’homme peinant à trouver la note juste d’un morceau qu’elle connaissait bien. Elle se permit d’interpeller le chanteur pour lui dire qu’il n’avait pas la note juste, sans savoir que l’homme en question n’était autre que Jo Amable, joueur d’harmonica renommé sur l’île aux belles fleurs. Il lui céda volontiers la place et fut tellement impressionné par la voix de la jeune martiniquaise qu’il l’invita à se produire avec lui à l’Olympia, un cinéma de la ville. Le succès rencontré ce soir-là par celle qui choisit Lola Martin pour nom de scène marqua le début d’une longue carrière.

« A Si Paré » fut écrit et composé en décembre 1930 par Léona Gabriel, une auteure-compositrice-interprète martiniquaise à qui l’on doit quelques-uns des plus grands standards de la musique antillaise (« A Si Paré » donc, mais aussi « Ah Mi Roro », « Maladie d’Amour », « Manman La Grève Baré Moin »…). C’est en 1969 que Lola Martin enregistre sa version de ce classique pour le label de l’omniprésent Henri Debs.

Cette biguine à l’ancienne a tout le charme désuet des Antilles des années 60, avec son piano chaloupé qui donne le tournis, Emilien Antile qui fait son numéro d’équilibriste à la clarinette, la contrebasse marquant chaque temps et une rythmique roulante comme une locomotive à vapeur. Quant à Lola Martin, son timbre voilé et guttural se marie à merveille avec les digressions du clarinettiste.

Si la musique est traditionnelle, les paroles sont quant à elles résolument avant-gardistes puisqu’elles traitent de l’infidélité masculine du point de vue de la femme, fait aussi rare que remarquable dans la société patriarcale des années 30. Le morceau parle d’une femme qui porte sa famille à bouts de bras alors que son mari volage et bon à rien est en passe de l’abandonner pour une rivale plus jeune. Lola Martin joue le rôle-titre à la perfection, mettant dans sa voix toute l’amertume, l’ironie et la colère ressenties par le personnage principal. Mais on est loin de la complainte ici, et cette chanson s’apparente plus à la ‘revenge song’ d’une femme créole fière et forte : le « mwen sé kréol mwen ni kouraj mwen lé vwèw isi a Fort-de-France » du refrain (qu’on peut traduire par « je suis créole et courageuse, je vais venir te voir à Fort-de-France ») évoque l’image de la femme trompée débarquant hors d’elle chez la maîtresse de son mari pour le couvrir de honte. Un homme averti en vaut deux…

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