Pour notre premier article de 2018, une parabole en guise de meilleurs vœux.
1968, l’année de la consécration pour Aretha Franklin. Depuis son passage chez Atlantic Records l’année précédente, la chanteuse a trouvé sa voie artistique : sous la houlette du tout-puissant Jerry Wexler, elle s’éloigne de ses racines gospel et jazz pour s’orienter résolument vers le rhythm & blues, enchaînant les tubes sur les 3 albums qu’elle sort entre mars 67 et janvier 68 avec « Respect », « I Never Loved A Man (The Way I Love You) », « Do Right Woman, Do Right Man », « Baby, I Love You », « Chain Of Fools », « (You Make Me Feel Like) A Natural Woman ». Le succès commercial comme critique est au rendez-vous, et elle remporte ses 2 premiers Grammy Awards en février 68.
Mais 1968 est aussi une des années les plus mouvementées du 20e siècle pour le monde, et pour la patrie de Lady Soul en particulier. Capture du navire de guerre USS Pueblo par la Corée du Nord, offensive du Tet par le Viet Cong, augmentation du contingent de troupes américaines au Vietnam, montée du sentiment anti-guerre, renforcement du mouvement des droits civiques et durcissement de sa répression, assassinats de Dr. Martin Luther King Jr. et Robert F. Kennedy, avènement des Black Panthers, émeutes en marge de la Convention Nationale Démocrate de Chicago, élection de Richard Nixon à la présidence… Remplacez quelques noms de personnes et de pays et le parallèle avec notre époque est aussi saisissant que troublant.
C’est dans ce contexte chargé qu’Aretha Franklin débute sa première tournée européenne en Angleterre en mars 1968, tournée momentanément interrompue le mois suivant pour permettre à l’artiste d’assister aux obsèques de Martin Luther King. La France n’est elle-même pas exempte de remous, et c’est dans un Paris où le mouvement de mai 68 commence à prendre de l’ampleur que la Queen Of Soul vient se produire pour la première fois le mardi 7 mai. La veille, de violents affrontements ont eu lieu au Quartier Latin, avec pour résultat 600 blessés et plus de 400 arrestations.
Si le chaos règne dans le quartier étudiant de la capitale, l’ambiance est à la classe feutrée du côté de l’Olympia. A 26 ans à peine, la chanteuse a déjà 14 ans de scène derrière elle et elle tient son public d’une main experte. En grande professionnelle, elle sait également faire abstraction de ses problèmes personnels (mariage qui bat de l’aile sur fond de violences conjugales, problèmes d’alcoolisme et de boulimie…) et livre une prestation exemplaire devant un public parisien conquis. Ce concert, enregistré, donnera lieu à la sortie de son premier album live, « Aretha In Paris », le 12 octobre suivant. Si Jerry Wexler regrettait la piètre prestation du groupe accompagnant la diva soul, c’est cette imperfection propre au live qui lui donne toute son âme. La Queen Of Soul est irréprochable, comme toujours, avec cette voix exceptionnelle, puissante et claire qui vient percer les ténèbres.
Pour entamer cette nouvelle année sous les meilleurs auspices, nous avons choisi cette version live de « Don’t Let Me Lose This Dream », un morceau entraînant dont le titre nous rappelle que l’obscurité la plus sombre côtoie toujours la lumière la plus vive, et qu’il faut toujours garder le cap et croire en l’éclaircie après la tempête.
Meilleurs vœux à toutes et tous !
PS : pour les malchanceux n’ayant pas accès à Spotify, vous pourrez retrouver ce superbe morceau sur Youtube.
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