Quand on s’appelle Flagrant Soul, attendre plus d’un an avant de mentionner pour la première fois Stevie Wonder relève de l’exploit ou de l’incompétence. Si l’on penche plus volontiers pour la première explication, le génie de la soul n’apparaît qu’en creux dans notre article du jour, dédié à la fulgurante chanteuse soul Minnie Riperton.

C’est l’histoire d’un classique né d’un subterfuge. Au début des années 70, Minnie Riperton se cherche. Après les échecs commerciaux de son groupe Rotary Connection et de son premier (et néanmoins sublime) album solo « Come To My Garden », la chanteuse à la tessiture virtuellement illimitée décide de prendre du recul : avec son mari/producteur/auteur-compositeur Richard Rudolph et leur fils Marc, la petite famille part s’installer à Gainseville, en Floride, loin des chants trompeurs des sirènes de l’industrie musicale. Tandis que Richard joue les DJ sur la station de radio locale afin de générer quelques rentrées financières, Minnie s’occupe de Marc et prépare l’arrivée de sa petite sœur Maya. Elle n’abandonne pas pour autant sa vocation artistique et écrit régulièrement de nouvelles chansons. Lorsqu’un représentant d’Epic Records retrouve la trace de la chanteuse en 1973, Richard lui fait écouter quelques-uns de ces morceaux fraîchement composés. La maquette atterrit entre les mains (et les oreilles) de Don Ellis, le directeur artistique du label, qui se rend illico à Gainesville pour signer Riperton sur le label.

Les Riperton-Rudolph déménagent rapidement à Los Angeles pour entamer la préparation du nouvel album. Lorsqu’Ellis demande à Riperton si elle a une préférence en ce qui concerne le producteur de l’album, celle-ci mentionne immédiatement Stevie Wonder. Les deux artistes n’ont jamais travaillé ensemble mais ne sont pas des inconnus : ils se sont brièvement rencontrés dans les coulisses de la Black Expo à Chicago en 71 et lorsque Minnie s’était présentée, elle avait été surprise d’entendre Stevie Wonder lui confesser être fan de sa voix d’ange et avoir très envie de travailler avec elle. L’envie de collaborer est mutuelle, mais les obstacles sont de taille.
La disponibilité, d’abord. En 73, Stevie Wonder est en pleine bourre, tant artistique que commerciale : après les sorties de « Talking Book » et « Innervisions », il est au beau milieu de son hallucinant Grand Chelem discographique. Sollicité de toutes parts, Stevie est-il prêt à mettre cette formidable dynamique momentanément entre parenthèses pour travailler avec un autre artiste ?
La question contractuelle, ensuite. Stevie Wonder a un deal avec la Motown, et même s’il a très envie de produire le nouvel album de Riperton, il craint que son légendaire label ne l’y autorise pas. Pour contourner cette interdiction, Wonder, Riperton, Rudolph et Epic s’accordent donc sur un stratagème : Stevie produira l’album sous un pseudonyme (il opte pour El Toro Negro, en référence à son signe astrologique), avec Rudolph comme co-producteur. Minnie Riperton entre en studio avec Stevie Wonder et son groupe Wonderlove, et à l’issue de ces sessions, « Perfect Angel » voit le jour en août 74.

« Reasons », le morceau du jour, fut choisi comme premier single extrait de l’album. Son riff de guitare éloigna les radios soul, qui firent preuve d’un grand manque de jugement sur ce coup-là : « Reasons » est un morceau midtempo avec un groove terrible sur lequel Minnie Riperton démontre toutes les nuances de son registre vocal, allant jusqu’à ces suraigus dont elle avait le secret sur la fin du morceau. Petit bonus appréciable, Stevie Wonder est à la batterie et comme toujours, il cartonne.
Au carrefour entre soul, rock et pop, « Perfect Angel » connut un succès en demi-teinte à l’époque du fait de ce côté inclassable. Aujourd’hui, il est largement reconnu comme le meilleur album de Minnie Riperton, avec son plus grand tube, le délicat « Lovin’ You ». « Perfect Angel » a fait l’objet d’une superbe réédition deluxe avec 10 titres inédits fin novembre, on vous la recommande chaudement  !

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