Vous qui nous connaissez, vous savez maintenant que chez Flagrant Soul, on ne pense pas toujours très droit. La faute, sans doute, aux visionnages répétés des Monty Python et Raymond Devos durant une étape critique de développement cérébral dans notre jeunesse. Ce goût de l’absurde couplé à la période actuelle de grève des transports ferroviaires a eu la conséquence inattendue d’extirper des méandres de nos souvenirs le morceau du jour.

« Nul n’est prophète en son pays »… Émergeant durant ces « yéyé » qu’il ne portait pas vraiment dans son cœur, Nino Ferrer fut un soul man à la française aussi brillant qu’incompris, hors cadre par rapport à ses contemporains. Jazzman dans l’âme, l’italo-français à la gueule de playboy rêvait de succès commerciaux avec ses compositions les plus complexes mais comme un certain Henri Salvador, il dut faire des concessions artistiques à la demande de sa maison de disques pour y parvenir. Cette schizophrénie musicale marqua sa carrière. Hormis « Le Sud », Nino Ferrer reste largement présent dans les esprits grâce à ses chansons aux paroles décalées (« Mirza », « Le Téléfon »,  « Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! », « Les Cornichons »…). Pourtant, ces singles versant dans l’absurde ne suffisent pas à résumer une discographie qui compte 15 albums studio aussi riches que variés. C’est que Ferrer possédait de remarquables talents de composition empreints d’un sens certain du swing : bossa classieuse (« La Rua Madureira »), rhythm & blues aux sonorités Stax (« Mao Et Moa »), jazz-blues néo-orléanais (« Je Cherche Une Petite Fille »),  concept-album tirant sur le prog rock (« Métronomie »), Ferrer brillait dans tous les styles. Malgré ses efforts, ce sont pourtant ses chansons loufoques qui restèrent gravées dans l’inconscient collectif. Salvador dut attendre la toute fin de sa carrière pour avoir l’opportunité de se réinventer, Ferrer n’en eut pas l’occasion : en août 98, il met fin à ses jours au milieu d’un champ de blé près de sa maison du Quercy. On aurait bien vu Nino endosser le costume de crooner soul/bossa vétéran, pourtant.

« Tchouk-Ou-Tchouk » est extrait de son 3e album, sorti en 1969, un album initialement sans nom et par la suite intitulé « Agata », du nom du morceau ouvrant la face A. Le protagoniste du morceau tente désespérément de prendre ce train qui l’emmènera loin de ses ennuis, le tout porté par une composition qui n’a rien à envier à Wilson Pickett. Cuivres rugissants et percussifs, batterie sautillante, ligne de basse dantesque jouée par Nino Ferrer lui-même, cette tranche de soul à la française transpire le groove par tous les pores.

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