Au printemps 68, un navire quitte la rade de Baltimore. A son bord, une cargaison d’instruments de musique destinés à un salon de musique électronique se tenant à Rio de Janeiro, le premier du genre dans l’hémisphère sud. Moog, Korg, Rhodes, Hammond, les plus grands fabricants de claviers, synthétiseurs et autres orgues acheminent ainsi des containers de leurs tous derniers modèles vers la Cidade Maravilhosa dans l’espoir de séduire la clientèle sud-américaine. Pourtant, quelques heures après son départ, le bateau disparaît soudainement des écrans radar. S’agit-il d’une panne ? A-t-il subi une avarie ? S’est-il échoué ? A-t-il sombré en haute mer ? Le mystère va durer…
Le vaisseau fantôme refait surface quelques mois plus tard lorsqu’il est « découvert » par des villageois de l’île de São Nicolau,  Cap Vert, à 5 000 km de sa destination initiale. L’équipage ayant pris la poudre d’escampette, la police coloniale n’a personne à interroger pour enquêter sur les raisons de ce léger détour. Elle se console tout de même avec la saisie de la cargaison avant de déchanter quand elle s’aperçoit qu’il s’agit uniquement d’instruments de musique. Comble de l’ironie, ces instruments fonctionnent à l’électricité, or peu de foyers de São Nicolau ont accès à ce luxe énergétique à la fin des années 60. En attendant de trouver une solution, l’encombrante marchandise est stockée à l’église locale. C’est le leader anti-colonial Amílcar Cabral qui, d’après la légende, décrète que ces instruments devront être distribués équitablement à tous les lieux raccordés au réseau électrique, des écoles pour la plupart. Les synthétiseurs tombent  ainsi entre les mains d’enfants curieux qui les apprivoisent rapidement, lançant un grand mouvement spontané de modernisation des musiques locales comme la morna ou la coladeira.

Autre genre musical local qui a bénéficié de cette synthétisation, le sulfureux funaná, longtemps interdit par un régime portugais dérangé tant par ses paroles séditieuses que ses ondulations suggestives. Sur notre morceau du jour, extrait d’une compilation de l’excellent label Analog Africa qui retrace ce pan de l’histoire musicale cap-verdienne, l’accordéon traditionnel au funaná laisse place à un synthétiseur pêchu qui donne des accents cosmiques à cette musique située au point de jonction des influences africaines, créoles et lusitaniennes.

initiales-fond-noir-300x300px-1