A bien des égards, l’Histoire est comparable à une peinture de Paul Signac. Considérez-la dans sa globalité et son sens est limpide. Approchez-vous et vous distinguerez alors la myriade d’histoires singulières qui la composent, comme autant de minuscules touches de couleurs primaires indépendantes les unes des autres qui, juxtaposées, s’amalgament en un tout qui les dépasse et produisent cette œuvre intelligible.
Comme une toile pointilliste, l’évidence a posteriori du cours de l’Histoire fait parfois oublier la multitude de récits personnels qui l’ont façonnée. Dans le cas du flux et reflux colonial des 2 siècles derniers, chaque histoire intime est une meurtrissure, un traumatisme vécu, hérité, transmis. Comme tout traumatisme, accordez-lui une trop grande place et il vous consumera, occultez-le et il reviendra inexorablement vous hanter. Dès lors, comment lui accorder sa juste place ? Plus qu’une place, statique, c’est d’un cheminement, mobile, vivant, qu’il est question : entre devoir de mémoire et oubli libérateur se situe cette étroite ligne de crête que seul le temps permet d’arpenter avec recul et apaisement.

C’est à ce travail de mémoire, destiné à une nouvelle génération oublieuse, que s’est livré Blick Bassy sur « 1958 », sorti en mars dernier sur le toujours impeccable label No Format. 4ème album de l’artiste, « 1958 » met en lumière la lutte du Cameroun pour son indépendance, habitée par les fantômes de héros oubliés comme Ruben Um Nyobè. Leader indépendantiste abattu par l’armée française cette même année, celui que l’on surnommait Mpodol (« celui qui porte la parole des siens », en bassa) est une figure historique étrangement absente du discours officiel, son oubli généralisé ayant été largement orchestré par les régimes successifs.
Sur « Woñi », Blick Bassy aborde le sentiment de peur qui entoure aujourd’hui encore l’histoire coloniale du Cameroun, cette peur qui paralyse tel un mauvais souvenir obsédant. Avec nuance mais sans complaisance, Blick Bassy y chuchote un militantisme persuasif sur fond de folk bassa à la guitare mélancolique et aux cuivres émoussés. Pour les pressés, les impatients, le morceau commence à 1’05. Les sereins, les contemplatifs profiteront quant à eux des belles images de ce clip tourné en Afrique du Sud.

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