Fin mai, la talentueuse Christine & The Queens sortait à grand renfort de promo son nouveau double single bilingue « Damn, Dis-Moi / Girlfriend« , actant un virage musical inattendu. Pour réchauffer et arrondir les contours de son électro pop, Chris est allée recruter le producteur Dâm-Funk, prophète moderne d’un G-Funk encore largement méconnu du grand public. Le succès rencontré par ce single serait-il annonciateur d’un retour de hype du hip-hop West Coast 90s ? En tant que fans de ce son, nous nous prenons à l’espérer. Une précision cependant : il nous est arrivé de nous tromper dans ce genre d’exercice de divination. Dans un moment d’égarement, nous avions ainsi pronostiqué à qui voudrait bien l’entendre un retour en force de la new jack (le genre musical à défaut du style vestimentaire)…
Retour de hype ou retour en grâce ? Avec un son plus chaleureux et entraînant que son cousin de la côte est, le rap californien avait tout pour plaire. Mais comme un Crip maladroit se tirant une balle de Glock dans le pied, il fut l’unique artisan de sa chute. La faute en revient à la schizophrénie d’une musique au son calibré pour la FM mais aux paroles polarisantes. Tel Tarantino à mesure que sa filmographie progresse, ce genre si prometteur dans les années 90 a fini par s’égarer à force de se caricaturer : entre matérialisme outrancier, apologie de la violence, image peu reluisante de la femme et paroles ordurières à faire piquer un fard à un Bigard atteint du syndrome de la Tourette, le hip hop West Coast est peu à peu devenu prisonnier des clichés négatifs qu’il a contribué à véhiculer.
Ce contenu sulfureux a eu des répercussions très concrètes sur le niveau de succès du genre. Le rap californien des années 90 s’est retrouvé de facto cloisonné, la censure américaine lui fermant l’accès aux radios les plus écoutées à défaut de sortir des versions censurées forcément moins attractives pour un public trop heureux de s’encanailler dans le confort douillet de son salon. Comble de l’ironie, le label « Parental Advisory : Explicit Lyrics », conçu pour marquer du sceau de l’infamie les œuvres musicales au contenu vulgaire et inapproprié, n’eut pas l’effet dissuasif escompté par ses créateurs. Pis, il devint un symbole de street cred pour certains artistes et un label d’authenticité recherché par une partie des consommateurs.
Au fil des années, ce goût pour la provocation par le verbe a fini par occulter la musique elle-même. Car au-delà du second degré nécessaire à l’écoute de ces gangsters de studio et autres machos d’opérette, on ne peut s’empêcher de remarquer la singulière contemporanéité de ce son, synthèse urbaine du P-Funk exubérant de Parliament et Funkadelic, du funk synthétique de Zapp et Gap Band, et de l’adult rock FM 80s de Michael McDonald, Toto et Kenny Loggins. Quand on affiche de telles références, l’airplay radio devrait être assuré.
Musicalement, le hip hop West Coast des années 90 assume pleinement sa spécificité locale. Ses contours clinquants semblent frappés par la luminosité crue du soleil californien. Comme le fruit d’un vignoble de Napa Valley trop ensoleillé, la production sonore locale est gorgée de sucre. Ou plutôt d’édulcorant : synthés aussi tape-à-l’œil et factices que des prothèses mammaires, basses gonflées aux stéroïdes comme les culturistes de Venice Beach, L.A. reste le royaume de l’artifice.
Autant de facteurs qui font du West Coast 90s la musique estivale par excellence. Pour vous accompagner pendant les beaux jours, nous avons préparé « Back To Cali », une playlist regroupant quelques classiques et beaucoup de faces B qui mettent en avant la musicalité du genre et attestent de son actualité. Une playlist dans laquelle on retrouve les suspects habituels et quelques jeunots : Ice Cube, Snoop (Doggy) Dogg, Warren G, Dâm-Funk, 2Pac, Tha Dogg Pound, le crooner Nate Dogg, Murs, le prodige DJ Quik… Un absent de marque cependant, le légendaire « The Chronic » de Dr. Dre qui fonda le genre G-Funk à sa sortie en 1992 mais n’est pas actuellement disponible sur tous les services de streaming. L’occasion d’une prochaine édition de notre rubrique « Wanted »…
Au programme de ce « Back To Cali », 2h30 de son funky et ensoleillé entrecoupé de quelques digressions gangsta, histoire d’animer vos pool parties et de faire grésiller les enceintes de votre voiture de location. Préparez-vous à embarquer dans un univers sonore où synthés sinueux, vocoders vibrionnants, basses qui boostent, kicks qui cognent et claps qui claquent régneront en maîtres sur vos tympans tout l’été.
Merci à l’ami Clément Halgand pour l’illustration : http://halgandclement.tumblr.com/
1 Ping